RE-INDUSTRIALISATION par Alexandre Marciel

« Nous devons changer de mentalité »

Une majorité du milieu politique actuel se gargarise de l’avenir économique radieux qu’offrirait la transition énergétique ou
l’intelligence artificielle, sans vraiment se soucier de la matérialité qui sous-tend ces technologies.

Pas seulement des idées, mais une vision. Nous avons trop longtemps été bercés par la douce illusion qu’« en France, nous n’avions pas
de pétrole, mais nous avions des idées », célèbre slogan publicitaire repris par le président Valéry Giscard d’Estaing en 1976.
À peine dix ans plus tard, en 1987, le président chinois Deng Xiaoping, dans un discours alors passé inaperçu en Occident, donne un tout autre ton
et surtout un véritable cap à la Chine, avec une vision à long terme : « Le Moyen-Orient a le pétrole. Nous, nous avons les terres rares. »
Quarante ans plus tard, la Chine domine la production de terres rares, celle de la plupart des métaux stratégiques et, au-delà, l’ensemble de la
chaîne de valeur. Que s’est-il passé pour en arriver là ?

Cas d’école : l’usine de La Rochelle. Dans les années 1980, le fleuron des terres rares est français. Avec l’usine de La Rochelle, Rhône-Poulenc
est alors le leader mondial du raffinage de terres rares, produisant 50 % du marché mondial. Mais, à la suite de signalements concernant les
stocks de déchets radioactifs issus de cette activité, l’atelier minerais et son activité de raffinage ferment en 1994. « Loin des yeux, loin du cœur :
les fumées, les pollutions et les risques sanitaires… » L’activité de raffinage est délocalisée en Chine avec une idée simple : la Chine nous vendra
moins cher les terres rares et nous n’aurons plus les désagréments. Autre idée reçue : la Chine produira la matière première, et nous concevrons et
fabriquerons les hautes technologies.

L’effet boomerang de notre arrogance. Au pays des Droits de l’Homme et de la Fraternité, nous avons longtemps fait preuve d’arrogance et manqué
cruellement de lucidité. Cette vision court-termiste se retourne aujourd’hui contre nous. Depuis 2008, l’Europe tire la sonnette d’alarme sur notre
extrême dépendance en matière d’approvisionnement en métaux stratégiques (la liste ne cesse de s’allonger et compte aujourd’hui plus d’une
trentaine d’éléments), et sur notre perte de compétitivité sur toute la chaîne de valeur. À la demande du président de la République, le rapport
Varin, rédigé en 2023 par l’ancien dirigeant de Peugeot-Citroën, n’a fait que confirmer notre dépendance totale et l’extrême urgence de
reconquérir un minimum de souveraineté.

Le courage de dire ce qui ne plaît pas. Depuis, une Délégation interministérielle dédiée à la sécurisation de nos approvisionnements (DIAMMS),
ainsi que l’Observatoire français des ressources minérales pour les filières industrielles (OFREMI, en lien avec le BRGM), ont été créés et travaillent
de concert. De nombreux projets sont sur la table (mines, raffinage, recyclage…) pour reconquérir cette souveraineté. Mais c’est désormais au
politique de prendre ses responsabilités et d’avoir le courage de défendre ces projets face à des populations locales pas toujours prêtes à accueillir
de nouvelles activités industrielles sur leur territoire.

Arrêtons de croire que nous pourrons encore longtemps acheter à la Chine des technologies bon marché et sans contrepartie. Nous devons
reconquérir, en France, notre souveraineté matérielle avant qu’il ne soit trop tard. C’est un impératif économique pour relancer véritablement notre
réindustrialisation : cela doit être un objectif politique prioritaire.

Alexandre Marciel
Ancien adjoint au maire de Toulouse
Auteur de *Mendeleïev au cœur des énergies*, Éditions Cépadues (2025)

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